Bouillon de talent #3 avec Damien Joliot

Un article par mois dans la rubrique Bouillon de Talent ! Après l’interview d’Antony Poncier, c’est au tour de Damien Joliot, HR Manager @ People in action, de répondre aux 10 questions pour ce troisième épisode 🙂

1. Plutôt gestion des compétences ou management des talents ?

 A mon sens, le glissement d’un terme vers l’autre dans les discours managériaux marque autant un changement de paradigme qu’une rupture dans les pratiques. La gestion des compétences s’attachait à définir et entretenir des référentiels aux spécifications aussi détaillées que rigides, avec l’ambition – souvent vaine – de planifier les compétences d’un collectif à long-terme. Au contraire, le management des talents par ses contours plus flous appelle à des politiques RH plus pragmatiques et davantage centrées sur les individus que sur des référentiels, quitte à devoir souvent les restreindre à des populations ciblées.

2. Qu’est-ce que le talent pour toi ?

Un mot renvoie toujours à une étymologie, une histoire. Dérivé du latin talentum, le talent est à l’origine une monnaie antique grecque, utilisée dans la célèbre paraboledestalents qui lui va lui donner son sens moderne accompagné d’une exhortation : le talent est une aptitude particulière que chacun se doit de “faire fructifier”. Dès l’origine, un talent n’est pas tant un don inné qu’une qualité qui s’identifie, se travaille et se perfectionne dans une finalité d’amélioration de soi.

3. Cite-nous une personne publique que tu considères comme un talent, et pourquoi ?

Un musicien virtuose tel que NigelKennedy incarnerait peut-être le mieux cette conception du talent comme le fruit de certaines prédispositions en même temps que d’un travail soutenu pour les développer. Face à son public, le musicien nous rappelle aussi qu’un talent n’a de valeur que dans le regard des autres et dans ce qu’il leur apporte; s’il est attribut purement individuel, le talent doit contribuer à la richesse collective.

4. Pourquoi parle-t-on tant de talent aujourd’hui ?

Peut-être parce que des expertises particulières sont aujourd’hui très recherchées, créant une tension entre l’offre et la demande sur le marché du travail, appelant les RH à devoir gérer la rareté par des politiques d’acquisition et de rétention fortes.

Je pense personnellement qu’il faut s’attendre à voir cette course à l’expertise s’accélérer avec les mutations de l’entreprise 2.0, où l’expertise tend à progressivement remplacer la hiérarchie statutaire comme source de légitimité principale. Les organisations les plus performantes devront se structurer moins autour de managers généralistes que d’une nouvelle génération de leaders experts, vecteurs d’innovation et de collaboration qu’il s’agira d’identifier, attirer et développer.

5. Penses-tu qu’il existe une approche plus européenne/française qu’anglo-saxonne du talent ?

Pas vraiment. A mon sens, les clivages sont beaucoup plus forts selon les organisations, les visions et les pratiques qu’elles développent en fonction de leur culture d’entreprise davantage que de leur culture nationale.

6. Les 3 priorités du management des talents ?

Une seule priorité : avoir un réel impact business au delà des discours qui ne suffisent pas à le justifier. Ce qui pose la question de la mesure de son effectivité aux différents niveaux dans l’organisation.

7. Comment repère-ton un talent quand le croise ?

Un exercice à mes yeux très difficile – voire dangereux – car les talents s’expriment nécessairement dans la durée, auprès de multiples interlocuteurs.

8. Quels sont les 3 impairs à ne pas commettre avec un talent ?

Manager les talents, c’est aussi manager des egos. Le premier impair à ne pas commettre serait de trop dire à un talent qu’il en est un: il pourrait “prendre la grosse tête” alors qu’une  certaine humilité est nécessaire pour progresser.

Le second serait de ne pas mettre suffisamment de moyens en face des attentes suscitées par les discours qu’on lui tiendrait. Aura-t-il un suivi particulier ? Concrètement, de quels programmes de formation, coaching, mentoring bénéficiera-t-il ?

Enfin, le management des talents – très souvent conçus par des RH Groupe – doit être directement connectés avec la réalité du collaborateur concerné: il faut impérativement impliquer son management de proximité, et y lier les vraies décisions qui l’impactent (carrière, rémunération, formation) au risque de susciter des frustrations.

9. As-tu du talent ou es-tu un talent ?

Je ne sais pas. Le talent est une appréciation qu’on applique mieux aux autres qu’à soi-même.

10. Quelles sont d’après toi les futures tendances de la gestion des talents ?

Je verrais se dessiner une tendance – dans l’esprit du temps – au remplacement des lourds process annuels (de type “talent reviews”) par des itérations / interactions plus simples, plus fréquentes, intégrant davantage d’acteurs que le traditionnel couple Manager+RH et beaucoup plus ancrées dans le quotidien.

La gamification offre des possibilités nouvelles dans ce sens. Juste un exemple qu’offre aujourd’hui Rypple : chaque collaborateur peut y attribuer des badges en situation à d’autres collaborateurs. Si l’un de mes collègues a fait preuve d’une pédagogie particulière pour me faire monter en compétence sur un projet, je peux décider de lui attribuer un badge #teacher qui incrémentera ses score compétences “teaching” et “mentorship”. Son profil, de type Facebook, matérialisera sous forme d’un nuage de compétences le cumul des feedbacks reçus de nombreux interlocuteurs à 360° au cours d’une période donnée. Une représentation du Talent bien plus fine que la subjectivité d’un manager à un instant de l’année.