Bouillon de Talent #6 avec Thomas Chardin

Thomas Chardin est un homme de marketing et de RH. Son fil rouge est l’innovation et la technologie dédiées aux Ressources Humaines. Il vient de créer son agence de communication sur les réseaux sociaux « Parlons RH ». Il est par ailleurs expert de l’externalisation RH (il a écrit un bouquin sur le sujet aux Editions d’Organisation et anime le blog Fonction RH et Externalisation RH).

Plutôt gestion des compétences ou management des talents ?

Les deux. L’acception de « talent » recouvre à mon sens une notion plus large que celle de « compétence ». Le talent intègre une capacité d’adaptation dynamique, une aptitude subjective et contextuelle, un comportement, une façon d’être et de penser. La compétence s’évalue individuellement, plus objectivement, plus formellement, sur la base d’un référentiel établi.

Quant au terme de « gestion », il est opérationnel et administratif et celui de « management » résonne généralement  plus positivement, mais nous pourrions parler de gestion des talents et de management des compétences.

Qu’est-ce que le talent pour toi ?

Pour compléter le propos précédent, le talent est pour moi l’aptitude d’une personne ou d’une organisation à s’adapter avec intelligence à son contexte. Une manière d’innover progressivement. Cette aptitude n’est pas innée mais acquise avec certain investissement et développée sur la durée. Le talent est donc une qualité cinétique qu’il convient de maintenir en mouvement, de travailler et d’enrichir au fil du temps.

Le talent n’est pas exclusif : tout le monde en a ! Cela dépend juste du contexte, du moment, du besoin.

Cite-nous une personne publique que tu considères comme un talent,  et pourquoi ?

J’en citerai deux : Claude Onesta, l’entraîneur de l’équipe de France de handball.  En 11 ans, il a su maintenir cette équipe à un niveau exceptionnel. Sur une période de quatre ans, de 2008 à 2012, l’équipe de France détient les titres olympique, mondial et européen, un fait unique dans l’histoire du handball masculin. Pour Claude Onesta, on peut parler d’un talent managérial qui a su créer un collectif talentueux avec une somme de talents sportifs.

L’autre personne publique est Phil Ivey. Il est considéré comme l’un des meilleurs joueurs de poker en activité, voire le meilleur de sa génération. Il a remporté de nombreuses victoires en tournoi et a participé à 9 finales du World Poker Tour. Sa spécialité est la lecture continue des comportements de ses « adversaires ». Rien sur une table de poker ne lui échappe. Il a une capacité d’analyse des talents des autres et de concentration hors du commun. Ce n’est pas un don, c’est un talent qu’il développe au fil de son expérience.

Pourquoi parle-t-on tant de talent aujourd’hui ?

Pour deux raisons. C’est le fruit de l’histoire de la fonction RH avec un soupçon d’effet de mode.

En bonne administratrice du contrat social et des relations du travail, la fonction RH était dite «Personnel». Focalisé sur la réduction des risques sociaux, son savoir-faire principal était juridico-comptable : pour chaque catégorie de poste, la main-d’œuvre devait avoir des qualifications.

Nous sommes passés à une fonction en charge des ressources humaines où les pratiques nord-américaines de management – team-building, e-learning, coaching et autre ing– s’y sont largement diffusées. L’individualisation des actes de gestion et le développement des compétences constituaient, et constituent parfois encore, les axes clé de l’optimisation de la ressource « salarié ».

Aujourd’hui, le talent management prédomine dans une GRH toujours individualisante mais plus valorisante, au moins dans ses aspirations. Dans un contexte où la créativité, l’innovation et l’engagement constituent les garants de la survie pour les entreprises, leur capital immatériel et leur potentiel émotionnel deviennent les paramètres majeurs de leur compétitivité. Ainsi, la fonction RH a dorénavant en charge la défense de la marque Employeur, la promotion de l’image de l’entreprise, la valorisation de sa richesse humaine, son talent.

L’évolution des pratiques et la mise au goût du jour de nouveaux concepts s’accompagnent souvent d’une sémantique particulière, si possible dont la traduction ne souffre d’aucun changement. Voilà pourquoi on parle de Talent aujourd’hui. On pourrait presque parler de Talenting ou de Talentisme.

Penses-tu qu’il existe une approche plus européenne/française qu’anglo-saxonne du talent ?

Je ne connais pas bien les modèles anglo-saxons en la matière ni les différences entre les pays européens. Je dirais que les approches anglo-saxonnes sont parfois plus pragmatiques et analytiques. Le talent autodidacte y est probablement plus facilement reconnu et les talents plus souvent mis en chiffres et évalués quantitativement.

En France, je pense qu’on conceptualise la pratique, que le poids de la qualification est encore très présent et que la complexification juridique croissante n’aide pas à une mise en œuvre plus opérationnelle de la gestion des talents.

Toutefois, à l’heure de la globalisation, la tendance devrait être à la convergence progressive des pratiques.

Une question à mon tour : le bon critère de segmentation n’est-il pas la taille de l’entreprise ? Quelle est par exemple la gestion des talents dans les entreprises de moins de 250 salariés ?… Je sens chez le lecteur une esquisse de sourire à associer PME et gestion des talents… Pourtant, ces entreprises représentent 99,7% des entreprises de France ! Ça fait beaucoup de talents ! Il y a là un gisement RH intéressant à explorer il me semble.

Les 3 priorités du management des talents ?

Priorité 1 :

Le préalable de la gestion administrative.  Avant d’assurer ses missions à forte valeur ajoutée, celles contribuant fortement à la performance de l’entreprise, la fonction RH se doit d’assurer ses missions basiques, notamment dans les domaines légaux et administratifs. Si non ça serait construire sur du sable ! La fonction RH ne peut être talentueuse sans rigueur.  Elle se doit d’être exemplaire sur ses fondamentaux : la paie, les déclarations sociales, la gestion du temps de travail, l’administration du personnel, etc.

Priorité 2 :

S’outiller en conséquence. Le développement du management des talents n’est pas qu’une affaire de conviction et de volonté. Le recrutement, la formation, l’évaluation des performances nécessitent des outils, une organisation et des process ad hoc. Encore aujourd’hui, de nombreuses DRH ne sont pas équipées des solutions minima à une gestion simple des compétences. Et je n’évoque pas là tout le champ du possible avec les solutions mobiles, les tablettes et les Smartphones.

Priorité 3 :

Vers l’entreprise talentueuse. Il ne s’agit pas en effet de développer un ensemble de talents individuels sans cohérence ni lien social. L’objectif reste bien la performance de l’entreprise et donc le développement d’un talent collectif, l’éclosion d’une intelligence organisationnelle. Et les contributions individuelles et collectives sont d’autant plus performantes, et donc plus rentables, que le «pourquoi» en est clair pour chacun et pour tous, et que ce «pourquoi» intègre comme une donnée essentielle que les hommes doivent être considérés comme une fin et non seulement comme un moyen.

Comment repère-ton un talent quand on le croise ?

Au regard de ma définition du talent, et sauf à entendre par talent « haut potentiel », on ne le repère pas. C’est une histoire de contexte, de moment. En plus de proposer de bonnes baguettes, ma boulangère a un sacré talent commercial… Mon expert-comptable n’a pas le même talent, mais il a le sens des chiffres. Peut-on appliquer à ces talents des critères génériques d’identification ?

Comme disait  Lichtenberg « L’homme est doué de talents que n’éveillent jamais que des circonstances fortuites ».

Quels sont les 3 impairs à ne pas commettre avec un talent ?

Je m’en permets quatre.

  • Le risque de la perpétué : considérer un talent ad vitam aeternam, sans le challenger, sans le nourrir, sans innover. Le talent doit bien être une remise en cause continue, une quête de progression permanente.
  • Le syndrome du HiPo : développer une approche élitiste et sélective des talents. Le talent concerne chaque individu, dans sa différence et sa diversité. Il s’agit de le reconnaître et de le valoriser pour chacun au moment opportun.
  • La tentation de la facilité court-termiste : acquérir de nouveaux talents plutôt que développer les talents existants. La formation, le développement des compétences, la mise en situation, l’expérience,  sont en définitive souvent plus rentables que toute tactique miracle de recrutement. Les entreprises doivent mettre en place des stratégies dans cette perspective.
  • L’aveuglement du process : vouloir administrer le talent, et le mettre dans des cases prédéfinies.  La curiosité, l’enthousiasme, la chaleur humaine ne se régentent pas.

As-tu du talent ou es-tu un talent ?

Même si cela reste très subjectif et mériterait pour être crédible de sortir de la bouche d’autres personnes à mon égard, je ne peux répondre que « oui, bien sûr ». C’est juste pour être cohérent avec ma définition du talent développée précédemment.

Quelles sont d’après toi les futures tendances de la gestion des  talents ?

Une fois traitées les priorités de la question 6, je vois deux tendances pour un futur proche :

  • Passer de l’entretien annuel à de vrais Spot Talent Reviews. Les pratiques d’évaluation méritent de s’adapter de façon incrémentale, avec une prise en compte progressive :
    • De la contribution aux travaux collectifs,
    • De l’intelligence émotionnelle et relationnelle,
    • Des interrelations externes à l’entreprise par une évaluation à 360° interne et externe.
  • Intégrer l’impact des réseaux sociaux. La RH, quand elle est évoquée avec les réseaux sociaux, se limite toujours ou très souvent au recrutement.  Il y a pourtant bien d’autres activités de gestion au sein d’une DRH que la recherche et l’intégration de nouveaux collaborateurs. La diffusion de l’usage des réseaux sociaux touchent les aspects juridiques, managériaux, organisationnels, fonctionnels, domaines qui concernent directement et en profondeur les acteurs de la fonction RH. Ils doivent être pris en compte dans un management des talents renouvelé.