Mais pourquoi Pokémon Go ???

Evidemment, un article sur le phénomène Pokemon Go (PGO) s’imposait. Non pas pour être à la mode et brailler avec la meute. Mais simplement parce que quiconque essaie d’être en prise avec la société et les attentes de ceux qui la composent, s’intéresse à l’addiction avérée à son smartphone, cherche à comprendre ce qui fédère un collectif, ne peut que s’intéresser à PGO.

Tout d’abord quelques faits :

  • Selon le site Gameblog.fr, deux jours après sa sortie aux Etats-Unis, PGO était deux fois plus installé sur Android que Tinder, le nombre d’utilisateurs équivalent à celui de Twitter, et le taux d’utilisation équivalent à celui d’applications comme Messenger ou Whatsapp
  • L’application de réalité augmentée a déjà provoqué de nombreux accidents tant elle absorbe ses utilisateurs et les déconnecte de la réalité
  • PGO peut permettre de perdre 5 kilos en deux semaines et de parcourir 153 kms
  • PGO permet aux personnes timides d’entrer plus facilement en interaction avec autrui. Cette assertion n’est-elle pas paradoxale puisque cette application vous plonge encore un peu plus le nez dans votre smartphone et vous projette dans une réalité qui n’est plus celle du quotidien ?

Mais ne serait-ce finalement pas cela qui expliquerait le phénomène PGO : la possibilité offerte de s’extraire de son quotidien, à un moment particulier où celui-ci est encore un peu plus anxiogène que d’habitude du fait des évènements actuels ?

La difficile réalité a d’ailleurs rapidement rattrapé le jeu comme en atteste l’article du Guardian. Des enfants victimes du conflit en Syrie se sont vus remettre des images de Pokémon pour sensibiliser les « joueurs de l’Ouest » à leur situation et à l’impérieuse nécessité de venir les secourir. Avec en filigrane l’idée que si autant de personnes sont capables de se mobiliser pour une activité aussi virtuelle que futile, pourquoi ne sont-elles pas capables de le faire pour une cause autrement plus importante ?

Dans un registre plus léger, on peut aussi se demander – comme me l’indiquait ce matin le comédien Nicolas Jouhet – si l’on n’est pas sur une gigantesque opération marketing visant à accroître notre soif de (sur)consommation en nous poussant de façon subliminale à nous ruer dans la rue pour accumuler frénétiquement des biens dont on n’a pas besoin.

En tant que chef d’entreprise, une question relativement similaire se pose : si des gens sont capables de se mobiliser aussi massivement et spontanément pour un but aussi futile, pourquoi cela ne serait-il pas possible de les mobiliser pour une plus noble cause ? Et la réponse est finalement dans la question…

D’abord, la notion de « noble cause » est très subjective. La cause en question est noble pour celui qui décide d’y consacrer une part importante de sa vie. Mais rien ne dit qu’elle sera perçue comme telle par qui que ce soit d’autre… D’où l’importance de développer un leadership ou un pouvoir d’influence suffisant pour motiver des gens qui – a priori – ne sont pas concernés par cette cause de se mobiliser pour elle. Et de rappeler en permanence le pourquoi des actions requises afin que l’engagement de chacun ne s’effrite pas.

D’autre part, ce sont les gens qui ont spontanément et librement décidé de se mobiliser pour attraper des Pokémon. Cela ne leur a pas été imposé. Cela fait une grande différence avec un contexte professionnel où la plupart des gens – pour ne pas dire tous – sont obligés de travailler, ce qui nuit intrinsèquement à la notion de spontanéité. Sans omettre le fait que passer des heures en salle de réunion est beaucoup moins drôle que de capturer des Reptincel ou des Chenipan.

Deux évidences émergent alors simplement de l’engouement suscité par PGO : quel que soit leur âge, les gens aiment jouer ! Introduire de la gamification ou ludification au sein de son environnement professionnel est peut-être donc beaucoup moins superflu que cela peut en avoir l’air. Si l’on veut que le travail ne soit pas perçu comme une contrainte mais plutôt comme un jeu, nul doute qu’un grand nombre d’éléments doivent être revus par les dirigeants, managers et autres RH : l’organisation, la gouvernance, l’espace de travail, …. Finalement, la présence de baby-foot et autres toboggans dans les environnements de travail, si elle est souvent critiquée, a peut-être une valeur symbolique qui devrait davantage être prise en compte.

Deuxio, une mobilisation exceptionnelle des forces vives de l’entreprise ne peut être décrétée que librement par chacun. L’enjeu n’est pas de chercher à la déclencher par des contraintes ou des mécanismes incitatifs factices, mais bien de créer les conditions dans lesquelles elle trouvera ses racines. Les primes et autres bonus n’ont d’effet qu’à très court terme. La clarification de la cause, de l’importance et de l’impact de la contribution de chacun sur l’action collective, voilà ce qui peut faire naître une forte mobilisation. Peut-être pas du niveau de PGO, mais suffisamment forte pour faire bouger les lignes.

Alors plutôt que de passer trop de temps à jouer à PGO ou à critiquer un phénomène qui appartient à chacun de faire perdurer ou non, mieux vaut s’émerveiller devant le fait qu’il est toujours possible de susciter en un rien de temps un engouement massif et spontané. Reste à trouver la noble cause 😉