Renoncer, changer et recréer : le secret de l’entrepreneuriat ?

Pour ce premier billet de l’année, je souhaitais revenir comme il se doit sur la dernière Semaine des Talents, et je tenais à sincèrement remercier tous les auteurs !!! Chloé, Laurence, Nicolas, François, David, écrire prends tu temps et vous avez tous écrit des articles aussi intéressants que pertinents, alors un grand Bravo !

Il a été question d’innovation RH, de croissance, de start-up, d’âme, d’incarnation, de carrière, de jeux vidéos…. Mis bout à bout, ces sujets sont tous connexes à un thème qui m’est cher, qui semble vous être cher également : rester soi !

be-yourself

Au niveau entrepreneurial, la question se pose évidemment tous les jours. Comment grandir sans rien sacrifier à son projet initial ? Comment rester fidèle à son ADN ? Comment continuer de véhiculer sa culture dans une entreprise composée de collaborateurs que l’on croise de moins en moins souvent, dilution des responsabilités et accroissement des effectifs obligent… Avec les années, j’ai réalisé ce constat simple : dans la croissance, on ne peut maintenir sa culture initiale, sa fameuse « âme », ce qui faisait le sel des premiers jours, le fameux « esprit start-up » dont tout le monde parle tant. On perd tous ces éléments mille fois pour mieux les récréer à chaque fois !

Quand vous regardez la courbe boursière d’une entreprise à succès sur plusieurs années, on a l’impression qu’elle ne fait que monter. Mais quand vous zoomez sur quelques mois, ou quelques semaines, vous vous rendez compte de la présence d’oscillations très importantes, qui constituent en réalité le quotidien de ceux qui vivent au sein de cette entreprise. Ces oscillations mettent un élément en lumière : ce qui ressemble à une apparente continuité n’est en fait qu’une illusion ! Un peu comme les 24 images secondes créant l’illusion d’une continuité au cinéma.

Et pourtant, malgré cette apparente nécessité de céder devant la croissance, il est possible de rester soi. Quelques explications sur cet apparent paradoxe s’imposent.

Grandir c’est renoncer

Quand vous êtes 3, vous redoutez le moment où vous serez 10. Quand vous êtes 10, vous redoutez les 30. … Et passés les 150, quand un nouvel arrivant – que quasiment personne ne connaît – demande à l’un des fondateurs devant la machine à café « Et toi tu fais quoi dans la boîte ? », vous comprenez que la boîte a changé. Et devinez quoi : ce n’est pas grave. De même que vous faites des enfants en sachant qu’ils quitteront un jour le nid familial, vous savez qu’un jour votre entreprise grandira et qu’il ne vous sera plus possible de connaître tout le monde, de tout savoir, de tout superviser, etc. L’accepter totalement c’est s’économiser une fabuleuse somme de tergiversations inutiles.

J’étais personnellement paniqué lorsque nous avons du organiser notre espace de travail sur deux étages, tant je craignais de ne plus voir les gens. Ce qui aurait été à l’encontre d’un des éléments clés de la culture de notre entreprise : la proximité. Ma crainte s’est bien sûr totalement avérée, mais pour palier à la gêne occasionnée, je me suis adapté et ai développé une nouvelle façon d’interagir. Le fameux managing by walking around, c’est-à-dire se promener davantage dans les couloirs pour forcer les rencontres et les occasions d’échanger, est devenu mon quotidien. Et cela a fonctionné un certain temps, jusqu’au moment où il y a eu trop d’étages à parcourir. Et là il a bien fallu renoncer définitivement à croiser tout le monde tous les jours, pour de bon.

L’enjeu n’est pas de s’accrocher coûte que coûte au fonctionnement que l’on a connu et qui a permis de bâtir sa culture d’entreprise, mais au contraire de savoir renoncer. Ce renoncement est indispensable pour créer l’espace dont jailliront le changement et l’innovation nécessaires au développement d’une entreprise.

Grandir c’est changer

Lorsque vous renoncez, d’une certaine façon, vous vous retrouvez nus. Vous ne jouissez plus de ce que vous connaissiez, et ne jouissez pas encore de ce que vous connaitrez certainement. Vous êtes comme on dit familièrement « le cul entre deux chaises ». L’enjeu à ce moment là, contrairement à notre réflexe naturel, n’est pas à tout prix de combler le vide en inventant je ne sais quel ersatz de fonctionnement. Il s’agit de réfléchir à deux choses :

  • Que vais-je inévitablement perdre de ce que j’ai connu ?
  • Que dois-je absolument retrouver ?

Si je poursuis mon exemple précédent, grandir signifie inévitablement perdre une proximité journalière et immédiate avec les équipes. Mais rien ne vous empêche de garder un lien fort avec toutes les personnes à qui vous êtes susceptibles d’apporter quelque chose et qui vous apportent quelque chose en retour. Cette apport réciproque doit s’organiser, plus qu’avant. Alors vous instaurez de nouvelles interactions, formelles et informelles, individuelles ou collectives. Vous testez de nouvelles modalités d’interaction. Vous cherchez, vous tâtonnez, et vous finissez par (re)trouver. Trouver quoi ?

Trouver ce qui compte pour vous, ce qui constitue le terreau de votre culture d’entreprise. Vous comprenez que la proximité chère à votre coeur ne se situe pas tant dans la fréquence des interactions que dans leur qualité. Alors vous consacrez davantage d’attention et d’énergie aux moments d’interaction que vous chérissez tant avec ceux qui comptent. Et finalement, vous avez presque le sentiment d’avoir gagné de ce changement car ce qui est plus rare a – comme tout le monde le sait – plus de valeur ! Vous êtes prêts pour entamer une nouvelle phase de votre vie professionnelle, jusqu’au prochain couple renoncement-changement.

Grandir c’est recréer

Alors oui, s’il est impossible en grandissant de maintenir la grâce, la culture, la magie des premiers jours, il est possible d’accepter pour de bon de renoncer à tout cela… pour mieux le recréer ! Mais recréer une grâce, une culture, une magie différentes puisque chaque étape de la vie d’une entreprise a besoin d’ingrédients différents.

Si la proximité vous importe, vous la perdrez 1000 fois au milieu de vos 500 collaborateurs mais la recréerez 1001 fois à l’aide de stratagèmes divers et variés : bières, réseaux sociaux, meeting de 15 minutes, batailles de nerf, brainstorming sessions, workshops, déjeuners, etc. Vous pouvez vous réorganiser ou réaménager vos locaux aussi souvent qu’il le faudra afin de supporter les modes d’interaction que vous souhaitez promouvoir. Et ce dans le seul but de voir à chaque étape de votre entreprise les comportements qui en font sa marque de fabrique. Vous pouvez vous réinventer vous-même en permanence en lisant, échangeant avec le maximum de personnes, physiquement ou virtuellement, en allant rechercher la critique et les feedbacks, dans le seul but de vous développer, etc.

En résumé, l’énergie de tous ceux à qui la préservation de l’essence même de votre entreprise importe ne doit pas être consacrée à maintenir ce qui ne peut l’être, mais à s’assurer que les conditions de la recréation sont toujours là. Car la clé du succès n’est pas le maintien coûte que coûte de ce qui a existé, mais la réinvention continue de votre soif d’entreprendre.